Plumy m’a proposé d’ouvrir un thread sur la notion de raccord en BD, parce qu’on en avait déjà un peu parler à propos de la bd d’Elei.
J’ouvre le sujet avec quelques trucs, mais loin de moi l’idée d’être exhaustif ou de donner un cours surtout que pour être honnête, les profs que j’ai eus ne nous ont jamais appris les choses façon cours magistral, toujours sur le tas sans définir des mots (ce qui est vraiment pas plus mal, mais c’est un autre débat).
Bref, je vais essayer d’en parler du mieux que je peux, sans m’égarer dans tout ce à quoi ça peut se lier.
Et je compte sur vous pour compléter et corriger !
Le raccord est super important en bd, encore plus qu’au cinéma où il est un peu différent.
C’est donc un lien fort entre deux cases qui a un tas de rôle à jouer.
Il doit faciliter l’ellipse, en s’assurant qu’elle n’est pas trop importante (l’ellipse, c’est tout un débat !) et donc faciliter la lecture, en la rendant plus fluide, que le lecteur ne se demande jamais où il est, où est quoi, qu’il ne soit jamais perdu dans des questions qui le font sortir du récit.
Ce qui est très délicat quand on réalise ses planches, c’est justement de surveiller cela, et là, avoir quelqu’un d’aguéri pour la lecture, c’est un plus, parce qu’evidemment, en étant plonger dans votre histoire, dur dur (à tous les niveaux, dessin, scénar, on en a tous fait la malheureuse expérience).
Donc le raccord sert d’abord au bon déroulement de la lecture, mais c’est aussi un bon outil pour s’exprimer.
D’abord graphiquement, il permet au lecteur de se créer un espace mental bien défini en un clin d’œil, et justement, il vous sert aussi à rendre vos espaces crédibles, comme un véritable espace (ce qui rejoint l’idée de caméra qu’évoquait Jackpot), et pas un décor de sitcom avec des trous.
Il peut aussi servir à exprimer des choses, à en révéler, en zoomant sur un détail, par exemple.
Par la couleur, avec un personnage rouge disons, ça peut devenir un ‘où est Chalie ‘ simple et diriger l’œil du lecteur au sein même de la case, et non plus juste entre les cases. Là où au cinéma, le mouvement attire l’œil, en bd, le raccord par la couleur peut jouer un rôle similaire. C’est dans le même but d’immersion pour le lecteur, il ne doit pas passer ne serait-ce qu’une seconde à se demander ce qu’il doit lire dans votre case. La couleur peut servir, mais aussi une forme atypique/ un motif.
Il peut aussi exister par le texte, où le sens raisonne avec l’image, et là, c’est source de beaucoup de choses, des plus subtiles et intéressantes aux plus lourdes, faut faire gaffe !
En tout cas, c’est bien une technique nécessaire, mais c’est comme toutes les techniques de narration, il faut en profiter pour servir le propos, que tout participe à votre narration, parce que comme toujours, toutes les histoires ou presque ont été racontées, c’est le point de vue qui donne tout l’interêt !
Et puis une remarque me vient. Je sais que beaucoup ici lisent en majorité du manga (même si tout le monde a été jeter un œil à côté, c’est cool !), et souvent, le raccord est bien moins présent. C’est parfois génant, parfois pas. Le rythme de production empêche surement de faire attention à tout ça, et ça tient aussi d’une vision différente de la narration, je pense. Mais finalement, j’ai aussi tendance à peu aimer les classiques franco-belges pour la raison inverse. Le raccord y est fort mais presque trop présent, un peu froid. Avis perso tout ça ! Jvous laisse en débattre.
Bref, j’ai beaucoup parlé, je sais pas si c’était clair, mais on peut finir avec l’exemple que me soumettait Plum : l’ouverture de ‘Killing joke’, d’Alan Moore et Brian Bolland.
Là, difficile de faire mieux.
Même la page de garde amorce une série de raccords.
La pluie, puis la lumière des phares, et le pilier du portail de l’asile qui passe le relais au portail lui-même avec deux personnages dans le fond, etc.
Dès qu’il sort de la Batmobile, Batman est dans toutes les cases.
Le passage du portail ou l’entrée dans la cellule sont aussi un exemple de rapport par la forme, dans les deux cas, on passe, avec Batman, de face à de dos quasi sans changement.
Vous voyez bien le truc, je pense.
Et pour le coup, ces raccords vraiment très marqués pourraient rendre la scène très lourde en tant que telle, mais dans le cadre de l’histoire, et de la suite, cette façon de faire permet de poser une ambiance, une lourdeur justement tout à fait à propos.
Encore une fois, tout ça tient du choix. Après tout, qu’est-ce qui nous empêche de zapper cette arrivée et commencer differemment sur les cartes ? Un choix !